La plus ancienne schule d'Alsace

Le rôle d'une Schule

Il est important de souligner le rôle de la Schule dans une communauté.

Le "Beth haknesset" est d'abord le lieu où se rencontrent tous les Juifs de la communauté. Les hommes y prient souvent tous les matins et tous les soirs. Le Shabbath, ils y étudient, la communauté y passe même tout Yom Kippour.

Ensuite, c'est dans la Schule que se donnent les cours de Talmud-Thora: en effet, un "Heder", que ma grand-mère fréquentait dès son plus jeune âge, se trouve dans la Schule, comme nous le verrons plus tard.

Rappelons aussi qu'une première schoule fut construite, mais aussitôt détruite au milieu du XVIIIème siècle (voir avant). La Schule actuelle fut érigée après la Révolution, en 1791.

Commençons par rappeler l'originalité de cette synagogue, classée monument historique.

"Pfaffenhoffen la fin d'une lignée"

cf R. Weil (Les synagogues de Basse-Alsace)

Pfaffenhoffen est une des plus vieilles synagogues de France. Mise en service sous la Terreur, elle maintient fermement la tradition des synagogues les plus anciennes. A ce titre apparaît comme particulièrement précieuse. Gilbert Weil (architecte) a réalisé des vues axométriques qui sont en même temps des tentatives de reconstitution. (voir notre document)

La façade sur rue est d'une grande discrétion: n'était la date inscrite en Hébreu sur la clé du linteau de la porte (elle correspond à l'année 1791, et le minuscule oeil-de-boeuf de l'étage, rien ne distinguerait ce bâtiment d'une des habitations voisines. Les volets ont disparu, mais les scellements des peintures témoignent d'une existence ancienne. Le pignon est à colombages, dans la plus pure tradition des maisons paysannes.


porte de la Schule (photo de 1973)
©M. Hirsch

A l'intérieur, le rez-de-chaussée était utilisé en véritable "centre communautaire". Un couloir distribue les pièces principales et donne accès à l'escalier. Il comporte, en niche, une fontaine murale sculptée, antérieure à la construction de la synagogue, et donc réutilisée. Le rez-de-chaussée se distribue entre 2 pièces principales et 2 pièces secondaires. La grande pièce sur rue servait de salle de classe "'heder" comme le témoigne ma grand-mère. Il est connu par tradition orale que la même salle servait pour les offices religieux en semaine; une minuscule armoire murale revêtue de bois est toujours visible à côté de l'entrée: elle permettait entre autres d'après ma grand-mère de ranger les tephilines.

La deuxième salle, sensiblement de même taille, mais donnant sur la cour était une cuisine: il reste un évier (dont les eaux s'écoulaient directement à l'extérieur, sous la fenêtre), un conduit de fumée, les traces d'un four (ou d'un âtre), une niche pour la pose d'objets. L'usage de cette cuisine, relativement grande, est problématique; il peut s'agir du logement -d'une seule pièce- du maître d'école, ou encore de la salle où la communauté préparait les matzoss ou éventuellement le vin kosher. Peut-être était-ce tout simplement la cuisine-salle commune des écoliers: nombre d'entre eux devaient venir des villages voisins; on peut supposer qu'ils réchauffaient et pendaient là leur repas, avant de rentrer à pied, parfois dans la neige... La taille du local peut s'expliquer aussi par l'incorporation probable dans la construction de 1781 d'une construction plus ancienne: l'appareillage des moellons est différent.

Parmi les deux petites pièces ménages entre les pièces principales celle de gauche est particulièrement curieuse: son accès s'effectue uniquement par le "'heder", mais elle prend jour sur la cuisine par une fenêtre barreau; ce n'était certainement pas une prison, car les murs en torchis auraient été faciles à percer... La forme, qui permet la mise en place d'un lit, nous fait pencher pour un "schlaffsdat", une pièce spécialement réservée aux pauvres de passage, qui auraient ainsi profité en hiver de la chaleur de la cuisine -sans toutefois avoir libre accès au garde-manger et à la vaisselle kosher!

La seconde petite pièce devait servir de vestiaire aux écoliers -leurs manteaux pouvaient sécher grâce à la chaleur d'un conduit de fumée reliant le poêle du "'heder" au conduit de la cuisine- et aussi de réserve pour le bois nécessaire au chauffage des deux pièces principales. Précisément ce bois se trouvait stocké dans la cave: un soupirail permettant de jeter le combustible depuis la rue conforte cette hypothèse. L'escalier d'accès à cette cave est fermé par une trappe qui, relevée, condamne tout passage entre les salles avant et arrière; la raison de ce curieux dispositif nous demeure inconnue.

Le couloir donne accès à une cour qui, certainement abritait les W.C. La cour devait servir aussi aux jeux des écoliers.

A l'étage, la synagogue des hommes et celle des femmes sont sur un même plan. Elles ne sont séparées que par un garde-corps en maçonnerie, jadis surmonté d'un treillis de lattes croisées. Celui-ci s'appuyait sur les deux poteaux intermédiaires en bois, de section ovale, formant un portique d'une noble simplicité.

Ce qui frappe le visiteur pénétrant dans ces deux pièces communicantes, c'est la majesté de leurs proportions, leur dépouillement, surtout comparé à la magnificience de l'"aron hakodesh" (l'armoire sainte des rouleaux de la thoro). Un examen rapide des dimensions montre que la salle des hommes est, en plan, un carré parfait. Le rapport de la hauteur au côté carré est de 2 sur 3, les fenêtres partent du tiers de la hauteur des murs. La salle des femmes respecte les mêmes rapports, les murs latéraux étant à leur tour des carrés parfaits...

L'"aron hakodesh" d'origine peut-être imaginé aisément: le soubasement -avec ses deux "bras" à picots pour fixer des cierges- est resté en place (couvert de peinture faux marbre!); les colonnes sont abandonnées, brisées, dans un coin obscur du rez-de-chaussée; une partie des colonnes, leur couronnement et le linteau ont été heureusement scellées dans le mur nord. Les colonnes sont ornées de pampres enroulés et le linteau comporte deux superbes lions affrontés, traités en bas-relief. L'ensemble de l'"aron hakodesh" était en pierre brune, rehaussée de couleurs et d'or; le contraste avec les murs nus de la salle devait être saisissant.

La "bima" (tribune) d'origine est restée en place, au centre de la salle des hommes: simple estrade en bois avec un linteau empêchant une banquette -celle du fidèle chargé de maintenir le rouleau de la thoro pendant l'enroulement de la "mappo" et la remise en place du "mantele", le petit manteau- de tomber à la renverse! D'après mes grand-parents, cette banquette servait de "siège du prophète Elie" c'àd la banquette où s'asseyait le parrain tenant sur ses genoux le petit garçon à circoncire.

On y trouve là toute la philosophie de l'édifice: tout y est utilitaire, fruste à l'extrême -sauf l'"Aron Hakodesh". Tout y est fait pour le fidèle, pour l'homme..., sauf l'Aron qui, lui seul, est saint.

Ce contraste va se perdre au fil du XIXème siècle. Le décor, peu à peu, va tout envahir. A Pfafennhoffen, nous avons la dernière survivante d'une lignée: celle des synagogues faites pour permettre à un groupe de vivre son Judaïsme. Grâce aux menus détails de l'édifice nous pouvons imaginer cette vie, celle des hommes réunis tôt le matin sous leur châle de prière, autour du feu qui vient de prendre dans le lourd poêle en céramique, celle des enfants prenant la suite dans le local chauffé -accrochant leur pèlerine et se disputant pour échapper à la corvée du bois à monter de la cave; celle des femmes cuisant des azymes; celle de la communauté réunie pour transformer en vin les raisins amenés des collines voisines... Et l'office du vendredi soir, les hommes glissant dans un tronc en bois sculpté, toujours accolé à un banc, les pièces de monnaie restées en poche; puis le samedi, la "shabes-goye", la voisine chrétienne, venant alimenter le feu en passant par la salle des femmes sans déranger les hommes... Enfin voici les hommes réunis, attendant dans la pénombre, en rythmant les cantiques, la "sortie" du Shabbat, les yeux fixés sur l'oeil de boeuf, objet utilitaire lui aussi, car en cette Alsace nuageuse et pluvieuse où scruter l'apparition de la 3ème étoile n'est pas chose très facile, ce sont les verres teintés de l'oeil de boeuf qui prennent le relais: lorsque le verre jaune ne se distingue plus du verre bleu, on déclare que le Shabbat est fini; l'office du soir peut commencer...


l'ancienne arche de l'alliance
©M. Hirsch


photo de la façade de la shoule en 1973
©M. Hirsch

Un défi pour les architectes

Les habitants de Pfaffenhoffen avaient de bonnes raisons pour construire une synagogue discrète lorqu'ils élaborèrent leur projet à la veille de la Révolution. Comme nous l'avons déjà signalé en 1626, à la suite d'une affaire rocambolesque, la communauté avait obtenu des Comtes de Hanau-Lichtenberg, princes protestants "éclairés", le privilège de "tenir synagogue". Ils construisirent un premier édifice de culte, qui se trouvait achevé en 1683. Mais le pasteur protestant du lieu, Samuel Hoppensack, ne l'entendait pas de cette oreille! Il ameuta contre les Juifs la population locale, qui alla détruire la synagogue toute neuve...

Voici qu'au lendemain de la révolution ce risque n'existe plus: les Juifs se sont vu reconnaître leurs droits civiques, acte les mettant sur un pied d'égalité juridique avec les autres citoyens. En même temps, devenus "citoyens français de culte mosaïque", ils perdent leur qualité de Juifs, ils ne forment plus des Communautés. Citoyens professant la même religion, ils se réunissent, en individus, pour pratiquer un culte. La synagogue change de sens: de centre de vie d'un groupe, elle devient lieu représentatif d'une religion.

Ce caractère représentatif conduit nécessairement à des édifices plus grands, plus majestueux, aux matériaux nobles et travaillés, pouvant supporter la comparaison avec les autres lieux de culte.

Il s'agit à présent de passer de la "maison commune" au "monument", et pour cela l'architecte est indispensable. Il est d'ailleurs obligatoire pour tout édifice public. Mais les architectes ne sont nullement préparés à concevoir ces bâtiments nouveaux, qui ne doivent pas ressembler aux églises... Il leur faut relever le défi. Ce défi est à la fois technique et organisationnel.

Au plan technique d'abord, il leur est demandé de couvrir des locaux relativement larges, sans avoir recours à la voûte, déjà typique du langage architectural chrétien.

Un article très documenté de Robert Weyl, secrétaire général de la société d'Histoire des Juifs d'Alsace et de Lorraine paru dans "Les Juifs en Alsace".


Vue extérieur de la shoule en 1971...


©M. Hirsch


©M. Hirsch

photos prises par Mme Meyer en 1971


...l'intérieur de la shoule photographiée par F. Raphaël en 1973...


©F. Raphaël


©F. Raphaël


©F. Raphaël


... et l'intérieur de la shoule en 1996, avant les rénovation


©M. Hirsch


©M. Hirsch


©M. Hirsch


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